Lettre de liaison N° 281 - 1er octobre 2018 [Version pdf]
Le gouvernement a décidé de liquider le statut des enseignants
Pour cela il prend totalement appui sur la concertation avec les dirigeants syndicaux
Pour bloquer les projets du gouvernement et défendre notre statut, il faut commencer par imposer la rupture de cette concertation mortifère entre le gouvernement et les dirigeants syndicaux
Une avalanche de mesures pour détruire le statut
Salaire au mérite : Les enseignants en REP+ devaient bénéficier d'une prime de 3000 euros. Mais Blanquer a décidé que seulement 1000 euros seraient attribuées automatiquement à tous les collègues, les 2000 euros supplémentaires étant attribués selon "l'investissement" et les "résultats" de l'établissement. C'est un pas décisif vers l'individualisation des rémunérations, la remise en cause des garanties collectives en matière de salaire et de progression de carrière
Evaluations : Le gouvernement Macron-Blanquer a décidé de multiplier les évaluations à cette rentrée (CP CE1/ 6ème/ Seconde). Ces évaluations constituent un déni de la qualification des enseignants en particulier dans le primaire. Les réponses sont directement centralisées nationalement.... hébergées par un serveur d'Amazon! Et l'enseignant reçoit ensuite des consignes de remédiation aux difficultés des élèves. Sa capacité d'apprécier lui même les difficultés des élèves et d'adapter ses réponses pédagogiques est niée. C'est une entreprise de caporalisation. Mais en réalité – Blanquer ne s'en cache pas – ce qui va être évalué, c'est l'école et les résultats de l'équipe d'enseignants. De cette évaluation comparée, s'en suivront à la fois des différentiations de salaire (généralisation du salaire "au mérite") et aussi des différences de dotation remettant brutalement en cause l'égalité de traitement des enfants sur le modèle anglo saxon. Notons-le : dans le même temps, la réforme de la Santé annoncée par la ministre Buzyn prévoit les mêmes différences de financement entre hopitaux selon les "résultats".
Affectations hors-barême : Blanquer a annoncé que 10% des affectations actuellement prononcées dans le cadre du barême national le seraient désormais hors-barême sur la base d'une "lettre de mission" et sur recrutement direct par les recteurs et les chefs d'établissement. Avec un absolu cynisme, il indique prendre cette mesure dans l'objectif "d'aérer" et "humaniser" le système des affectations. Le barême garantissait l'égalité de traitement des collègues – vérifiée par les commissions paritaires – pour les demandes d'affectation et de mutation. Il s'agit de substituer à ces garanties le management privé, le recrutement par les chefs d'établissement sur la base de la souplesse d'échine, de la servilité et du carnet d'adresses.
Réforme du statut de directeur d'écoles : Le gouvernement Macron-Philippe-Blanquer a décidé de reprendre l'offensive pour transformer les directeurs d'école en personnels d'autorité, pour mettre en place dans les écoles des caporaux des réformes gouvernementales. Ce projet est un objectif historique de la bourgeoisie – depuis celui des "maîtres directeurs" de Monory, il y a plus de 30 ans, qui s'était heurté à la mobilisation massive des instituteurs. Aujourd'hui, le gouvernement s'appuie sur le soutien ouvert de la direction du SE (et évidemment du SGEN), mais aussi sur le fait que la direction du SNUIPP tout en condamnant plus ou moins le projet... en appelle aux parlementaires pour "l'amélioration" du statut de directeur (lesquels parlementaires sont dans leur majorité à la botte du ministre!).
Réforme du recrutement Le gouvernement annonce pour début 2019 une "réforme du recrutement" des enseignants : « Un consensus se dégage progressivement en faveur d'une épreuve d'admissibilité en fin de licence et d'une épreuve d'admission située en M1 ou en M2 », indique le gouvernement (...). L'entourage de la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, indiquait cet hiver qu'il fallait « s'interroger sur l'existence d'un concours ». ( Les Echos 4 Juin 2018)
D'une part le "prérecrutement" s'opérera avant même que l'étudiant soit titulaire de la licence. L'étudiant admissible n'aura pratiquement plus de formation disciplinaire. Il s'agit donc de l'organisation de la déqualification des enseignants. Mais il faut ajouter qu'il deviendra ensuite apprenti stagiaire. Autrement dit, il ne sera plus fonctionnaire stagiaire, accédant, jusqu'à la mise en oeuvre de PPCR, au troisième échelon au terme de l'année de stage, mais "apprenti" avec une "gratification" équivalente à la rémunération – misérable – d'un AED. Par ailleurs, les actuels AED pourront être chargés de tâches d'enseignement, en particulier de remplacement dès Bac+2! Quant à l'apprenti stagiaire, à supposer qu'il devienne ensuite fonctionnaire, son début de carrière sera retardé d'autant, et, à l'échelle de la carrière, il s'agit de la diminution massive du salaire des enseignants. Mais sera-t-il fonctionnaire? Les "interrogations" de Vidal "sur l'existence d'un concours" indiquent le but final : l'admissibilité n'ouvrirait plus sur une admission donnant droit à un poste!
La contre-réforme du lycée en application et les milliers de suppressions de poste
L'ensemble des mesures visant à pulvériser le statut des enseignants est inséparable des contre-réformes touchant la jeunesse, son droit aux études, à l'acquisition de diplômes nationaux.
La contre-réforme du lycée entérine la liquidation du baccalauréat comme premier diplôme universitaire, ouvrant droit à la poursuite d'études dans le supérieur. Cette liquidation est d'ores et déjà effective avec la loi ORE instaurant la sélection à l'entrée de l'université et en interdisant l'accès à des dizaines de milliers de bacheliers d'origine populaire. La rentrée 2019 ne marque pas un "échec de Parcoursup", contrairement à ce que l'on dit au sommet des directions syndicales, mais la réalisation de l'objectif ouvertement affirmé par Macron : "Il faut cesser de faire croire que l'université est la solution pour tout le monde".
La contre-réforme du lycée liquide les séries, substitue aux matières des "enseignements de spécialité" rassemblant de manière informe les anciennes disciplines, instaure le contrôle continu pour 40% des coefficients. Prévoyant la mutualisation des enseignements de spécialité à l'échelle d'un bassin d'enseignement, voire leur organisation par télé enseignement, la contre-réforme s'accompagne naturellement de milliers de postes supprimés (d'ores et déjà 2650 au budget 2019 dans le secondaire auxquels il faut ajouter les 550 postes non-enseignants). Des milliers de collègues, dans le cadre de cette "mutualisation" qui va permettre de mettre partout les effectifs au maximum, vont être affectés sur plusieurs établissements, les lycéens migrant d'un établissement à un autre en fonction du lieu d'enseignement de telle ou telle spécialité.
L'entreprise de destruction de l'enseignement professionnel public et là aussi les suppressions massives de poste
Le gouvernement a prévu, pour ceux auxquels il fermera les portes de l'enseignement supérieur, l'apprentissage patronal. Cela suppose de faire la peau des Lycées professionnels publics. C'est ce que fait méthodiquement la "réforme" des LP . D'une part, ils sont asphyxiés par la réduction considérable de la part de la taxe d'apprentissage qui leur revenait. D'autre part, les bacs professionnels voient leurs horaires d'enseignement fortement réduits (nouvelle réduction d'un an de la formation, réduction des horaires d'enseignement général). Enfin, les spécialités professionnelles sont regroupées (de 80 à 15 "familles de métiers") de sorte que le bac pro n'ouvrira plus à une véritable qualification professionnelle. Cerise sur le gâteau : là aussi une "évaluation" permettra de comparer le taux d'insertion professionnelle des LP par rapport à l'apprentissage, dans une situation où iront en LP les jeunes... qui n'auront pas trouvé de place en apprentissage! Le gouvernement prend appui sur le fait que les dirigeants syndicaux lui ouvrent la voie. Le principal syndicat, FO, soutient quasi ouvertement la réforme. Les autres (CGT, SNUEP, FSU notamment) la "critiquent" sans en exiger le retrait, demandant une "autre réforme".
Le bilan d'une concertation continue entre le gouvernement et les dirigeants syndicaux
Les attaques contre le statut des enseignants – et des non-enseignants de l'Education Nationale – est inséparable du projet de Macron de liquider le statut de la Fonction Publique et de supprimer 50000 postes de fonctionnaires d'Etat durant le quinquennat : liquidation du rôle des commissions paritaires, recrutement contractuel, salaire au mérite, "mobilité" des fonctionnaires et plan massif de reconversion hors FP. Les mesures évoquées plus haut en sont la déclinaison dans l'Education Nationale.
Partout ces attaques se mènent par le biais de la concertation et du dialogue social. POUR, la revue de la FSU, ne s'en cache même pas. Dans son numéro de septembre, est écrit sous le titre : "Un calendrier chargé"(sic!)
"Les discussions sur la Fonction Publique reprennent dès septembre entre gouvernement et fonctionnaires en vue de l'élaboration d'un projet de loi au premier semestre 2019".
Cette simple phrase fait litière de l'argumentation selon laquelle les dirigeants syndicaux participeraient aux concertations "pour y défendre les revendications". Là, on affirme clairement que le but est l'élaboration de la loi du gouvernement. "La concertation porte sur le dialogue social, les rémunérations, l'accroissement du recours aux contractuels et la mobilité notamment vers le privé...
La consultation sur la réforme des retraites reprend également en septembre..."
Il s'agit entre autres de liquider le code des pensions qui garantit la retraite des fonctionnaires pour instaurer la retraite à points.
Les enseignants peuvent déjà tirer le bilan des 55 réunions de concertation avec les dirigeants du SNESUP et de l'UNEF qui ont conduit à la loi ORE et à Parcoursup. Ils peuvent tirer le bilan de la participation constante des dirigeants du SNES et de FO à l'élaboration de la contre-réforme du lycée, de la commission Mathiot à la participation à toutes les instances de concertation qui ont suivi telles le Conseil Supérieur de l'Education. Ils peuvent constater que la concertation est l'indispensable marchepied du gouvernement pour faire passer toutes ses mesures. En réalité, la participation à la concertation est totalement incompatible avec la défense des revendications.
C'est ce qui apparaît dans l’US du 29 août (journal du SNES) où la direction du SNES, loin de se prononcer pour le retrait du projet de réforme du recrutement écrit : " Le SNES est favorable à ce que la formation dans le cadre des ESPE soit revue. L'année de stage est trop lourde, réduire l'horaire du service en responsabilité à un tiers du service rendrait aux stagiaires le temps nécessaire pour se former... Pour le SNES-FSU, de véritables prérecrutements permettent à des élèves-professeurs de se consacrer à leur formation et de réussir". Comme si c'était cela qui était en cause! Dans tout l'article pas un mot sur le cœur de l'attaque gouvernementale : le stagiaire n'est plus un fonctionnaire stagiaire, mais un apprenti. Pas un mot sur la menace formulée par Vidal : fin du recrutement par concours!
Il n'en va pas autrement sur la réforme du lycée. De temps à autre, la direction du SNES indique son "opposition" à la réforme. Mais dans son courrier aux secrétaires de section syndicale, elle indique sa véritable position :
"La mise en œuvre de la réforme est prévue en Seconde et Première pour septembre 2019. (...) Toutefois c’est au cours de cette année scolaire que vont se discuter dans les académies et les établissements les conditions de rentrée 2019. (...) Dans les rectorats, c’est entre septembre et décembre que va se décider la carte des enseignements de spécialité. (...) Pour les sections syndicales académiques, départementales et locales du SNES-FSU, c’est dès à présent que les interventions s’imposent.
Les chefs d’établissement sont d’ores et déjà sollicités pour faire remonter aux rectorats leurs demandes d’options (Secondes et Premières) et d’enseignements de spécialité (Premières et Terminales). Ils seront appelés à se concerter et à faire des choix à l’échelle de districts ou de réseaux d’établissements. Il faut exiger très rapidement que soient consultées les équipes et respectés les droits des CA."
Autrement dit, la direction du SNES invite les sections syndicales à "s'impliquer" dans la mise en œuvre de la réforme, y compris à participer dans les CA à la foire d'empoigne pour obtenir dans son établissement tel ou tel enseignement de spécialité en dépouillant le lycée voisin!
Et ce dans une situation où le gouvernement annonce que la "carte des spécialités" inclut les établissements privés ce qui pose en principe que certaines spécialités ne pourront se faire que dans le privé!
S'organiser pour imposer la rupture de la concertation- collaboration des dirigeants syndicaux avec le gouvernement.
C'est sur cette orientation de concertation renforcée que les dirigeants syndicaux appellent à la journée d'action du 9 octobre pour que le gouvernement "entende les attentes sociales". Dans cet appel, l'offensive gouvernementale (retraites, statut de la Fonction Publique, enseignement) n'est jamais caractérisée avec précision. Le budget 2019 – avec entre autres la suppression des 3000 postes dans le secondaire et chez les non enseignants parmi les 7000 postes supprimés dans les ministères autres que la défense, la police et la justice) – n'est pas même mentionné!
C'est encore sur cette orientation que la direction du SNES est associée avec SGEN et SE UNSA – dont les dirigeants soutiennent ouvertement les réformes gouvernementales -- à l'appel à la grève du 12 Novembre, appel qui prétend... opposer les suppressions de poste aux réformes, alors que les premières découlent des secondes. Citons l'appel :
"Avec 2 650 postes d’enseignant-es et 400 de
personnels administratifs supprimés, c’est une nouvelle dégradation des
conditions d’études des élèves et de travail des personnels qui est
programmée.
Cela n’est pas compatible avec l’ambition d’un enseignement de qualité
et d’une plus grande égalité de réussite, ni d’une bonne administration
du système éducatif. "
Ajoutons que, le 12 novembre, le budget – dont la discussion commence à l'Assemblée le 15 octobre – sera pour l'essentiel adopté. Il s'agit en fait de laisser la voie totalement libre au gouvernement pour faire adopter ses budgets de guerre contre la classe ouvrière et la jeunesse.
A l'inverse, le véritable affrontement contre le gouvernement, son budget de guerre contre les travailleurs (14 milliards de cadeaux aux patrons alors que non seulement 7000 postes sont supprimés, mais les retraites à nouveau diminuées, et 100000 contrats aidés supprimés etc.), sa loi de financement de la Sécurité Sociale – ou plutôt de pillage de la Sécurité Sociale-, nécessiterait que les dirigeants syndicaux CGT, FO, FSU, UNEF appellent à une manifestation centrale et nationale à l'Assemblée Nationale à l'ouverture de la discussion parlementaire.
C'est cette perspective qu'ouvrirait la rupture des dirigeants syndicaux avec le gouvernement. Les enseignants comme l'ensemble des travailleurs devront imposer pour cela que les directions syndicales soient mises à leur service. La première exigence dans ce but, l'exigence la plus immédiate est donc de s'organiser pour imposer
LA RUPTURE DE LA CONCERTATION AVEC LE GOUVERNEMENT.
Rupture de la concertation visant à la liquidation de notre régime des pensions,
rupture de la concertation contre le statut de la Fonction Publique!
Aucune discussion sur l'ensemble des mesures contre le corps enseignant et retrait de tous les projets gouvernementaux le concernant!